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Modèle économique 2021

  • Gauthier Roussilhe

Depuis trois ans je publie chaque année un article pour décrire mes activités économiques en toute transparence : les organismes et personnes avec qui j’ai travaillé, mon résultat comptable, l’organisation de mon temps, etc. Ce rituel est important pour moi car il constitue un bref moment de réflexion sur mes activités et est aussi une sorte de garde-fou éthique. Cette transparence m’oblige à choisir délicatement mes collaborations et clients sans compromettre ce en quoi je crois.

L’année de 2019 à 2020 est disponible ici, et celle de 2020 à 2021 . Cette année, mon passage sous le statut d’entreprise (SASU) me fait redémarrer l’exercice à 2021.

La valeur sociale du travail

Cette nouvelle année d’activités a permis de mettre en action certaines réflexions personnelles liées à la crise sanitaire. J’ai été étonné par notre capacité collective à célébrer les fameux travailleurs et travailleuses de “première ligne” et à les oublier presque aussitôt, sans revalorisaiton de leurs conditions de travail. En tant que chercheur et conseiller, mes activités sont socialement valorisées et je ne dois pas spécialement lutter pour mes conditions de travail, c’est un confort précieux. Ceci étant dit, je ne pense pas que mon travail soit si important que je puisse être mieux payer qu’un·e infirmier·e, un·e pompier, un·e agriculteur·rice, un·e enseignant·e, … C’est-à-dire que je ne pense pas que mes activités apportent plus de valeur sociale ou collective que les métiers nommés précédemment.

Attention au contre sens, cela ne veut pas dire que je n’aime pas et ne trouve pas de valeur dans ce que j’ai fait. Je prends beaucoup de plaisir dans mes travaux de recherche et j’ai de la chance d’avoir trouvé une voie dans laquelle je peux m’épanouir. Toutefois, la valeur de ce que je fais repose sur une valeur marchande et non pas une valeur sociale. En l’occurence, je ne souhaite pas m’inscrire dans une logique de marché. Pourtant je constate que c’est un filon lucratif pour les métiers du conseil, je vois des cabinets proposer des consultants en numérique durable à un tarif moyen journalier de 1200 à 2000 €. Connaissant bien le métier, il me semble que la plupart des consultants sur le sujet ont un niveau de connaissances plutôt faible qui ne justifient en rien de tels tarifs, mais ceci est l’histoire des métiers de conseil.

Pour ma situation propre, il n’y a rien qui justifie à mes yeux que je sois mieux payé que des métiers à forte valeur sociale. C’est à travers cette réflexion que j’ai resisté à la tentation de vouloir augmenter mon salaire. Bien sûr, je pourrais me dire que je peux gagner plus car dans tous les cas, quelqu’un fera ce travail ou prendra ces missions. Je pourrais aussi avoir plus de temps de recherche dédié en prenant moins de missions mieux payées. Toutefois, cela impliquerait d’être moins regardant avec les missions et de jouer à un jeu du mieux disant où celui qui le plus de moyens peut se payer les personnes les plus compétentes. Je refuse de travailler avec certaines industries et certaines institutions donc je peux pas jouer à ce jeu et je ne veux pas participer au verdissement d’entreprises insoutenables.

À travers ma SAS, j’ai stabilisé ma paie entre 1500 et 2000€ net par mois. Cela me permet de vivre confortablement et d’auto-financer mon doctorat, et donc mes activités de recherche. J’ai des conditions de travail largement plus agréables que la plupart des “métiers sociaux” et celles-ci ne subissent pas une dégradation constante liée à une doctrine de privatisation des services publics et de l’État. Mon geste ne constitue donc pas temps un exemple de solidarité mais plutôt une refus (et une certaine sidération) de la valeur marchande attribuée aux métiers de conseil dans mon champ de recherche. En l’occurence, je me sens plus à l’aise à continuer ma recherche et à conseiller les institutions publiques sans en tirer une plus-value substantielle.

Résultats

À la différence de l’année dernière, j’ai un comptable pour gérer les déclarations de TVA, les bulletins de paie et autres opérations liées à la SASU. C’est donc la première fois que j’ai un compte de résultat et un bilan depuis que j’ai repris mes activités en 2018. Cet exercice de transparence sera différent des articles précédents car plus proches des conventions comptables d’une entreprise.

Mon année a été largement consacrée à deux projets, un accompagnement en éco-conception pour un service numérique de l’Ademe et la lancement d’un service de création de sites web pour mairies rurales. Ainsi, mes deux principaux “clients” ont été l’ADEME et ma rétribution sur le deuxième projet de sites pour mairies rurales. Néanmoins, je continue de ne pas dépendre majoritairement d’un client. Même si je venais à perdre un ou plusieurs contrats je pourrais compenser par les contrats que je refuse généralement pour privilégier le travail avec les institutions publiques.

Client (par ordre d’émission de facture) Montant (HT)
Insavalor 66,68
Candriam France 500
Collectif Bam 600
Direction Interministérielle du Numérique 600
Fairness Scop (Ademe) 7500
Les Raisonnées 652,50
Ion Conseil 300
Agence Everest 3250
Commown 2250
Chris Adams 200
Stereolux 750
Chris Adams 2000
Fondation Nationale des Sciences Politiques 2000
Groupe ESC Clermont 2558,88
Fairness Scop (Ademe) 7600
Direction Interministérielle du Numérique 4000
Refacturation Plateaux numériques
6937,50
TOTAL (avec autres produits) 44836,42

L’exercice de l’année 2021 a officiellement commencé le 1er janvier 2021 et s’est terminé le 31 décembre de la même année. Toutefois, j’ai commencé à basculer mes nouveaux contrats sur ce statut qu’à partir de mars 2021 donc cet exercice n’aura duré que 10 mois. Au total, le produit d’exploitation est de 44 836 €. Sur la plupart de cette période j’ai fixé mon salaire à 1500€ net, soit 2000€ brut avec l’URSSAF, la retraite et le prélèvement à la source. Au final, j’ai dégagé un résultat de +7 060 €.

Charges d’exploitation Montant
Salaires et traitement 18148,58
Autres achats et charges externes 12622,76
Charges sociales 6756,63
Impôts sur les bénéfices 1072,58
Impôts, taxes et assimilés 247,95
TOTAL 38848,51

Mes charges d’exploitation sont réparties en trois pôles : le salaire à hauteur de 18 149 € ; les autres achats et charges externes pour 12 622 € (principalement sous-traitance : 7 408 €, honoraires comptables : 2 860 €, voyages et déplacements : 2 052€) ; les charges sociales à 6 757 € ; les impôts, taxes et assimiliés à 248 €. Au vu de mon résultat j’ai aussi payé 1 072 € d’impôts sur les bénéfices.

Mon bénéfice net est donc de 5 988 € pour l’année 2021. Ce fond de roulement sera nécessaire mais à peine suffisant pour absorder les délais de paiement de l’enseignement supérieur ou de certains projets publics.

Comment financer les activités de recherche

Il est nécessaire de comprendre que même si je présente ici les résultats d’une entreprise, cette dernière est le moyen de financer mes activités de recherche sur l’empreinte environnementale de la numérisation. Je dispose d’une bourse pour effectuer mon doctorat au RMIT qui supprime les frais d’inscription (10 000€ par an dans une université dans un sytème privé) mais je ne suis pas rémunéré pour mon travail de recherche et d’écriture de thèse. J’ai essayé de stabiliser un système où on me commande des missions qui sont directement reliées à mon thème de recherche et qui peuvent me servir d’études de cas ou me permettre de creuser un point précis. En général, je dispose d’une grande liberté sur mes missions et je peux largement les orienter. Ainsi, je développe rapidement et avec une grande flexibilité mes connaissances et ma vision de mon sujet de recherche tout en étant payé. Ces connaissances et cette vision sont parfois reconnus par d’autres acteurs prêts à me payer pour un nouveau travail de recherche et ainsi de suite. Je dispose donc d’un modèle assez vertueux qui me permet de financer ma recherche, de l’orienter à mon gré et de monter en compétences rapidement. Ce modèle fonctionne toujours aujourd’hui car je me situe dans une niche de recherche où peu de chercheurs se sont engouffrés et où les consultants, qui pourraient prétendre à un haut niveau de connaissances, sont novices sur le sujet pour la plupart.

Essai de cercle vertueux pour financer mes pratiques de recherche

Cependant, ce modèle a des contraintes. Il est complexe de bien organiser les activités professionnelles et de recherche, et les temps dédiés au doctorat. Ma thèse a quelque peu souffert de ce modèle et j’ai mieux bien avancé que prévu. Mon directeur de thèse me pousse à développer ma refléxivité sur mes activités de recherche, car c’est une composante majeure du travail scientifique, mais c’est aussi une tâche ardue que j’ai tendance à repousser. L’année 2022 est déjà bien engagée et je dois bien mieux baliser les temps dédiés à la thèse, notamment en balisant deux jours dédiés par semaine.

Orientations

Je souhaite aussi continuer la dynamique où les temps de gestion inhérents à toute entreprise, aussi petite soit-elle, sont réduits au minimum. De même, je vais structurer un peu plus mes interventions en tant qu’enseignant, intervenir dans moins d’écoles mais suivre les étudiants plus longtemps, le temps d’un semestre ou de quelques semaines intensives. À l’avenir, j’aimerais travailler sur des contrats de recherche qui s’installent plus dans la durée. Finalement, je suis en train de me rendre compte que mon rythme de travail est de plus en plus étiré, pris dans le temps long. L’instantanéité du travail numérique (email, etc.) a de moins en moins de sens pour moi et la qualité de mon travail profite bien plus du recul permis par le temps.