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Est-ce que le secteur numérique existe ? (d’un point de vue environnemental)

  • Gauthier Roussilhe

Pour mener à bien l’analyse environnementale du secteur numérique on s’habitue à le découper en trois tiers techniques : centres de données, réseaux, équipements utilisateur. À cela s’ajoute un pourtour de services : à quelques exceptions près, n’importe quel service numérique a besoin de centres de données, de réseaux de télécommunication et d’équipements informatiques pour fonctionner. De façon séparée, on regarde dans les autres secteurs (transport, énergie, industrie, etc.) pour estimer les effets indirects de la numérisation (effet rebond, substitution, etc… entrainant impacts évités ou ajoutés) sans vraiment qu’une méthode officielle s’impose.

Cette logique tend à bien séparer l’empreinte environnementale du secteur numérique en tant que tel, et ses effets une fois appliqué dans les autres secteurs économiques. Au bout de plusieurs années à travailler avec ce modèle je commence à avoir le sentiment que nous arrivons à bout de ce dernier car il va être de plus en plus dur de maintenir la frontière théorique entre le secteur numérique et la numérisation des autres secteurs. Dans cet article j’aimerais revenir sur comment le secteur numérique a été historiquement défini afin d’expliquer pourquoi, selon moi, le modèle actuel ne risque pas de tenir. Finalement, j’essayerais de montrer d’autres voies pour estimer les effets environnementaux de la numérisation.

Périmètre du secteur numérique et de la numérisation d’un point de vue environnemental

L’histoire de la classification du secteur numérique

Je me suis mis à m’intéresser à la classification du secteur numérique à cause d’un chercheur réputé dans notre champ, Jens Malmodin de l’entreprise Ericsson. Ce dernier est reconnu comme un chercheur de référence dans notre domaine et a produit depuis 1998 un grand nombre d’articles de recherche de bonne qualité. Cependant, Malmodin est le seul chercheur à présenter ses résultats en séparant le secteur des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC ou ICT en anglais) et le secteur « Entertainement & Media » (E&M) qui comprend réseaux de télévisions, consoles de jeu, journaux, magazines, etc. Travailler sur un article de Malmodin consiste donc à assembler la partie TIC et la partie E&M tout en excluant tous les média papier, afin de rendre les résultats comparables à d’autres analyses. Lors d’un séminaire doctoral à Louvain en 2021, l’intéressé a expliqué qu’il faisait ce découpage car il suivait la classification de l’OCDE. Dès lors, j’ai voulu comprendre cette classification pour mieux cerner le périmètre de son travail.

En 1998, les pays membres de l’OCDE décident de définir ce qui sera appeler le secteur des TIC afin de l’intégrer dans la « Classification industrielle internationale de toutes les branches d’activité économique » (ISIC). Cette classification a été publiée pour la première fois en 1948 par le bureau des statistiques des Nations Unies. L’ISIC a alors pour but de fournir des catégories d’activités fixes permettant l’usage d’outils statistiques et de suivre et comparer les activités économiques des pays à l’échelle internationale. La première révision (Rev.1) a été soumise en 1956 et la version la plus récente (Rev.4) date de 2008. À ce jour, l’ISIC Rev.4 est toujours maintenu par le bureau des statistiques des Nations Unies et son usage a largement dépassé celui des pures statistiques.

En terme de formalisme, l’ISIC Rev.4 est structuré en sections (21), en divisions (88), en groupes (238) et enfin en classes (419). Le périmètre de la classification concerne toutes les unités engagées dans la production économique définie par le SNA (United Nations System of National Accounts) comme :

an activity carried out under the control and responsibility of an institutional unit that uses inputs of labour, capital, and goods and services to produce outputs of goods or services.

C’est donc en 1998, lors de la troisième révision de la classification, que le secteur des TIC est défini sur la base de ses activités, il est alors séparé dans deux sections pré-existantes, la fabrication (Manufacturing) et les services (Services) :

For manufacturing industries, the products (goods) of a candidate industry must :

  • fulfil the function of information processing and communication including transmission and display
  • use electronic processing to detect, measure and/or record physical phenomena or control a physical process
    For services industries, the products (services) of a candidate industry must :
  • be intended to enable the function of information processing and communication by electronic means
Classification économique du secteur des TIC dans la Rev.3.1

Dès le départ cette définition et ce découpage semblent incertains à plusieurs acteurs mais il est décidé en 2002 de rester avec cet existant et que c’est son implémentation dans les référentiels statistiques nationaux qui lui permettra de gagner en pertinence. De même, le découpage entre Manufacturing et Services pour un même secteur brise la dichotomie de l’ISIC (un secteur est soit fabricant, soit serviciel) mais est toutefois accepté tel quel. De nombreux cas se situent déjà à la limite du périmètre et le questionnent : est-ce que la fabrication de câbles (cuivre / fibre) est une activité du secteur ? Est-ce que les instruments de navigation, de mesure et de test utilisent tous des procédés électroniques ? Du point de vue des services, est-ce que la location d’équipement bureautique est nécessairement dans le périmètre ? Toutes ces interrogations apparaissent dans les présentations de l’OCDE en 2006 et préparent la prochaine révision de l’ISIC et du secteur des TIC.

Exemple de cas “borderlines” d’après les experts de l’OCDE

La quatrième révision de l’ISIC en 2007 offre l’occasion de mettre à jour de la classification des TIC pour de nombreuses parties prenantes. Ces apports visent à suivre l’évolution dynamique des biens et services du secteur et aussi à restreindre la définition de la fabrication et des services uniquement aux produits dont la composante numérique est primaire à la fonction délivrée. La définition se resserre autour de :

The production (goods and services) of a candidate industry must primarily be intended to fulfil or enable the function of information processing and communication by electronic means, including transmission and display.

Ainsi, les appareils de mesure et les activités de location d’équipement informatique sont exclus du périmètre. C’est cette définition qui structure encore aujourd’hui ce que nous appelons le secteur numérique, à cheval sur la section Manufacturing (Section C, Division 26), une petite partie de la section Wholesale and retail trade (Section G, Division 46), une grande part de la Section Information and Communication (Section J) et enfin, une division dans le secteur Other service activities (Section S, Division 95). Mais cette vue n’est qu’une part de ce qu’on appelle l’économie de l’information et notamment n’inclut pas ce que Malmodin appelle dans ses articles Entertainement & Media.

Classification économique du secteur des TIC dans la Rev.4

L’économie de l’information

Sur la même période, le Working Party on Indicators for the Information Society (WPIIS) de l’OCDE va définir le concept d’économie de l’information à partir de 1997. Dans cette perspective, le WPIIS décide en 1998 de séparer TIC et « Contenus ». Ce dernier définit alors le secteur de la production et de la publication de contenus complémentaires (activités de publication, films & télévision, broadcasting et activités de programmation, autres services d’information) en parallèle à celui des TIC. En 2002, la définition du secteur des « contenus » (Content & Media sector) comme composante dans l’économie de l’information est proposée en suivant ces principes :

  • A content product corresponds to an organized message intended for human beings published in mass communication media
  • The value of such product to the consumer does not lie in its tangible qualities but in its information, educational, cultural or entertainment content
  • The content sector is the group of economic activities that are primarily engaged in the publishing and/or the electronic distribution of content products

Le secteur des « contenus » est aujourd’hui inclus dans la section J de l’ISIC Rev.4, nommée, Information and Communication, et est compris principalement par 3 divisions (Publishing activities ; Motion picture, video and television programme production, sound recording and music publishing activities ; Programming and broadcasting activities). Dans la division 58 (Publishing activities), la plupart des activités de publication concerne des médias papier et seulement un groupe intègre le Software Publishing. C’est à ce titre que Malmodin intègre à chaque fois les médias papier dans ses estimations.

Classification économique du secteur des « contenus » dans la Rev.4

Durant les vingt dernières années le concept d’économie de l’information va suivre plusieurs transformations sémantiques au sein de l’OCDE. Si en 1998 on parle de Content as a new growth industry et de secteurs des TIC, on utilise ensuite officiellement le terme Information Economy pour les regrouper. On parle de Information Society en 2011, de Digital Economy en 2014, et finalement de Digital Transformation en 2019. Chaque changement sémantique inclut généralement l’ajout de nouvelles industries et activités économiques. Au final, à la fin des années 90, c’est donc le même groupe d’experts de l’OCDE (WPIIS) qui initie la définition des secteur des TIC et des « contenus » et qui acte à la fois leur séparation et leur concomitance.

Grâce au recul que nous a permis ce bref historique, on peut constater deux éléments fondamentaux. Premièrement, les estimations d’empreinte environnementale du secteur numérique se concentrent sur la section J (Information & Communication) et inclus seulement à la marge les autres activités, notamment celles de production : on inclut majoritairement la fabrication des équipements mobilisés dans le secteur J, la fabrication d’équipements électroniques destinés à d’autres secteurs (puces pour industrie automobile, etc.) a de fortes chances de ne pas être intégrée. Ainsi, ce qui a été appelé secteur des TIC (c’est-à-dire principalement la section J) n’a offert qu’une vision partielle du secteur numérique, qui devrait inclure moins la section J, la division 26 de la section C et quelques classes dans d’autres secteurs si on veut être fidèle à la classification de l’OCDE. Il est intéressant de constater que Malmodin suit une vision du secteur des TIC parcellaire en n’intégrant ni toutes les activités de contenu (Software Publising) ni toutes les activités des TIC. On peut imaginer que ce périmètre est lié au manque de données disponibles soit à des choix méthodologiques. Deuxièmement, la clé principale pour définir ce qui est inclus dans le secteur numérique ou non, et donc potentiellement dans son empreinte environnementale, est la capacité à prouver la caractère primaire d’un produit dans le traitement et la transmission d’informations par voie électronique ([…]must primarily be intended to fulfil or enable the function […]). Or, ce principe semble largement dépassé par le caractère englobant de la numérisation. C’est ce que nous allons voir dans la prochaine partie.

Récapitulatif des différents périmètres du secteur numérique

Mieux cerner les activités humaines numérisées

Définir le caractère primaire d’un produit dans le traitement et la transmission d’informations par voie électronique est un exercice difficile. Par exemple, les estimations d’impacts positifs de la numérisation comptent les émissions évitées grâce aux applications de partage de vélo. Or, du point de vue d’une activité économique, est-ce l’application pour trouver, déverrouiller le vélo et payer qui est primaire ou tout simplement le vélo ? Les entreprises qui déploient ce type de solutions (Vélib, etc.) sont considérées dans le secteur des mobilités, donc on considère que le produit a pour fonction principale de déplacer une ou des personnes, pas le traitement et la transmissions de données. Cependant, si le vélo ne peut pas être utilisé sans cette interface alors est-ce que les fonctions numériques ne sont pas primaires, au sens où elles sont critiques et permettent (enable) l’utilisation du vélo ?

En fait, la définition actuelle de l’OCDE pour caractériser le secteur numérique amène à un paradoxe : alors que la numérisation des activités humaines se poursuit, la fonction de traitement et de transmission d’informations par voie électronique va devenir critique pour une grande partie des activités humaines, et donc potentiellement primaire. Très peu d’industries ou d’activités économiques peuvent fonctionner aujourd’hui sans cette composante donc très peu d’entre elles peuvent remplir leur fonction primaire sans numérisation. Par extension, si la rupture de la fonction numérique empêche l’accomplissement de la fonction économique primaire alors c’est la fonction numérique qui devrait devenir primaire, au sens d’enablement. Ainsi, la numérisation des activités humaines aboutira fatalement à ne plus avoir qu’un seul secteur économique, le secteur numérique. À ce titre, faut-il alors encore le compter comme un secteur ?

Cette réflexion amène en creux un second point. Si la clé de définition du périmètre du secteur numérique n’est pas tenable, est-ce nécessaire de séparer l’empreinte environnementale du secteur numérique et les effets indirects dans les autres secteurs ? Cette séparation crée de nombreux biais méthodologiques déjà évoqués : le calcul des effets indirects de la numérisation dans les autres secteurs se fait généralement sans calculer le poids environnemental du dispositif numérique en question, ou encore on « oublie » de compter la production industrielle de composants électroniques qui ne va pas directement dans le secteur numérique.

Voiture dans l’incapacité de démarrer sans sa mise à jour logicielle - Source : Internet of Shit

Prenons un exemple. En 2010, 35% du coût d’une voiture serait potentiellement lié à l’électronique embarquée d’après Deloitte. Aujourd’hui, les composants électroniques de cette voiture ne sont pas comptabilisés dans le secteur numérique et les effets environnementaux positifs (efficacité, meilleur routage, diminution de la consommation, etc.) sont modélisés sans intégrer l’empreinte environnementale de ces équipements électroniques. En 2030, selon le même rapport, l’électronique embarquée pourrait atteindre 50% du coût d’une voiture. De même, on peut faire l’hypothèse que la voiture en question ne pourra pas fonctionner sans maintenir la couche logicielle (firmware / software propriétaire ou non). Dans ces conditions, il sera difficile de contester le caractère primaire de la fonction numérique face à la fonction de transport. Cette voiture sera donc un dispositif numérique, potentiellement pris dans une logique de service (type Mobility-as-a-Service). Il ne sera plus possible d’évaluer séparément l’empreinte environnementale du secteur numérique et l’empreinte de la numérisation dans les autres secteurs, le tout formera juste un continuum.

Évaluer un secteur économique ou le secteur numérique

Si notre méthode actuelle de découpage du secteur numérique est parcellaire et est peut-être vouée à l’échec dans un futur proche, pouvons-nous utiliser d’autres méthodes ? Ce problème d’ajustement entre la classification économique et le secteur numérique est bien connu et n’est pas propre aux sciences environnementales (c’est aussi un problème central des sciences économiques par exemple). Dans un article de recherche de 2010 Erdmann et Hilty1 le rappelle ainsi :

This particular set of characteristics of ICT is a challenge to deal with in macroeconomic studies on ICT effects on GHG emissions. There are two basic ways to quantify these effects: (1) incorporate ICTs in general macroeconomic models explicitly or (2) build specific macroeconomic ICT impact assessment models.

Les grandes estimations globales du secteur numérique (Andrae & Edler 2015, Andrae 2020, Malmodin & Lunden 2018, Belkhir & Elmeligi 2018) ont toutes choisies de partir du même modèle spécifique pour l’évaluation de l’impact plutôt que de s’appuyer sur un modèle macroéconomique traditionnel. Le découpage en tiers techniques, ainsi que la focalisation sur la section J et l’intégration partielle de la fabrication des équipements électroniques, font parti de ce modèle spécifique.

Pour bien comprendre la différence entre un modèle macroéconomique traditionnel et un modèle spécifique prenons l’exemple d’une étude de Zhou et al2 en 2019. Ces derniers font une estimation de l’empreinte carbone du secteur numérique en Chine à partir d’une analyse input/ouput, un outil classique en économétrie. Les chercheurs utilisent la classification nationale des activités économiques qui est cohérent avec l’ISIC Rev.4 : ils intègrent à peu près la section C Div.26 et la section J sans les médias papier. Ils estiment ainsi l’empreinte carbone du secteur numérique chinois (fabrication et services) à 357 MtCO2e en 2012. Sur la même année, Malmodin & Lunden estiment l’empreinte carbone mondiale de l’ICT (hors E&M) aux alentours de 730 MtCO2e.

Exemple d’un modèle traditionnel : estimation de l’empreinte carbone des TIC en Chine par Zhou et al. (2019)
Exemple d’un modèle spécifique : estimation de l’empreinte carbone des TIC dans le monde par Malmodin & Lunden (2018)

Vu que les périmètres initiaux ne sont pas les mêmes (modèle traditionnel vs modèle spécifique) il n’est pas possible de comparer ces deux estimations. Il faut retenir que les modèles spécifiques pour étudier le secteur numérique sont restrictifs, ils limitent ce qu’ils comptent au minimum, et les modèles macroéconomiques traditionnels sont extensifs, ils comptent l’ensemble des activités économiques liées au secteur numérique tel que défini par l’OCDE. Il est aussi important de se rappeler que le présent exercice ne se concentrent que sur les activités économiques donc les modèles sont extensifs ou restrictifs dans ce périmètre initiale. Toutefois, de nombreuses activités numériques ne sont pas des activités économiques (il n’y a pas de valeur économique directe à contribuer à Wikipédia).

Construire des nouvelles méthodes

Revenons à ce qui a lancé cette brève enquête : la classification utilisée dans les publications de Jens Malmodin. Nous comprenons maintenant que ce dernier utilise en fait un périmètre restreint de la classification de l’OCDE puisqu’il définit, à quelques classes près, l’ICT et l’E&M comme la section J et une part de la fabrication d’équipements électroniques de la section C. On peut comprendre les réticences à intégrer la division 26 de la section C car, dans un modèle spécifique, cela mènera parfois à de la double comptabilité carbone des impacts environnementaux de la fabrication. Toutefois, en excluant une partie de la section C dédiée à l’électronique on enlève une part importante de l’empreinte environnementale du secteur numérique vu par l’OCDE.

Plus largement on peut se poser la question de la pertinence d’une classification économique des activités appliquée à l’analyse environnementale. Au même titre que cette classification ne semble pas adaptée pour modéliser la croissance économique liée à la numérisation, il y a des risques pour qu’elle ne soit pas adaptée à la modélisation de l’empreinte environnementale de la numérisation. Une partie des réflexions partagées ici va dans ce sens mais plus de recherche est nécessaire pour étayer l’argumentaire. Pour répondre à un telle question, il faut se demander le but de la modélisation de l’empreinte environnementale de secteur numérique et de la numérisation. À mon sens, nous faisons tout cela pour comprendre ce que fait la numérisation aux activités humaines et si ces effets sont compatibles avec les enjeux de transition. Ainsi, une vision extensive est pour moi nécessaire, notamment à moyen-terme. À l’opposé, il est compréhensible que les acteurs économiques du secteur numérique défendent une vision restrictive qui réduit, entre autres, la capacité de critique environnementale de leurs activités.

Repenser la part et les effets de la numérisation dans les activités humaines

Nous devrons trouver de nouvelles méthodes pour comprendre ce que fait la numérisation. Cette évolution des méthodes devra faire des choix d’axiomes dont je propose quelques uns ici : (1) on considère que, à terme, le secteur numérique est une composante primaire (enabler) de tous les autres secteurs économiques, et existe à l’état de méta-secteur dans lequel sera rapatriée l’empreinte aujourd’hui ventilée dans les autres secteurs, en plus de son empreinte initiale. Le facteur d’ajustement est alors le degré de numérisation des pays et de leurs secteurs économiques. Ce premier choix implique un deuxième axiome : (2) le secteur numérique et la numérisation ne sont pas distincts et forment un même continuum dont il faut déterminer les effets environnementaux par service / secteur / territoire. À partir des deux premiers axiomes on peut alors estimer que dans les territoires et secteurs numérisés le scénario sans « numérique » n’existe plus et ne doit pas être modélisé. Tout exercice de modélisation doit partir d’un scénario de base dont la part numérique et ses effets doit être estimée et un scénario de projection dont la part numérique et ses effets doivent être de nouveau modélisés. Par exemple, on pourrait calculer le poids et les effets environnementaux de l’enseignement à distance, mais il faut déjà prendre en compte que l’enseignement tout court est déjà numérisé (équipements informatiques, logiciels, services en ligne, …) et qu’il y a déjà un poids et des effets à estimer, avant même de projeter quoique ce soit.

Ces trois axiomes peuvent paraître plus ou moins subtils mais ils visent tous le même objectif : comprendre réellement le poids environnemental de la numérisation sur Terre (et à ses différentes échelles) et ce qu’elle fait concrètement aux sociétés et aux économies. Cette approche ne vise pas à être business-friendly (car elle augmenterait inévitablement le poids environnemental du secteur) mais à prendre une posture plus agnostique, voire plus neutre, sur les méthodes d’estimation et de modélisation. Ces considérations sont certes théoriques mais elles me semblent poser quelques pierres pour la structuration des sciences environnementales appliquées à la numérisation. À défaut, cet historique et cette explication auront permis de comprendre à quel point nous savons peu de choses sur les effets environnementaux de la numérisation, qu’ils soient positifs ou négatifs.


  1. Lorenz Erdmann and Lorenz Hilty, “Scenario Analysis,” Journal of Industrial Ecology 14, pp. 826-843, 2010. 

  2. Xiaoyong Zhou et al., “How information and communication technology drives carbon emissions: A sector-level analysis for China,” Energy Economics 81, pp. 380-392, 2019.