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Explications sur l’empreinte carbone du streaming et du transfert de données

  • Gauthier Roussilhe

De nombreuses choses ont été dites récemment sur l’empreinte carbone du streaming, autant dans la presse que dans certains cercles professionnels. Ces discussions sont généralement liées à l’application du décret de la loi “Anti-gaspillage et Économie circulaire”1 qui instaure un affichage environnemental en équivalent CO2 sur les factures de télécommunication. De même, plusieurs articles de presse ont fait état de l’empreinte environnementale du secteur numérique, notamment un article du Monde accompagné d’infographies à ce sujet.

L’empreinte environnementale est un sujet complexe et les sciences environnementales appliquées au secteur numérique est encore un champ de recherche relativement jeune (plus ou moins 20 ans). Il semble donc plus propice de profiter d’un format long pour revenir sur le sujet brûlant de l’empreinte carbone du streaming vidéo avec calme et en s’appuyant sur les publications scientifiques les plus fiables. De plus, j’ai aussi pu suivre une partie du travail sur la méthodologie du ratio GO/CO2e sans être partie prenante, à ce titre j’essayerai redonner un peu de perspective à ce sujet.


  1. “LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire”, Journal Officiel, 10 février 2020 (article 13). 

Rappel : quel est le périmètre de l’évaluation environnementale du secteur numérique

On évalue l’empreinte environnementale du secteur numérique en s’appuyant sur des analyses de cycle de vie (ACV) sur des équipements ou des services et/ou sur des modèles globaux quand les données sont incomplètes ou pas disponibles. Il y a aujourd’hui consensus autour d’un périmètre commun d’évaluation dans la littérature scientifique et dans les normes internationales (ISO 14040-44, ITU L.1410, ETSI 203.199). Du fait du manque de données disponibles, nous ne pouvons regarder que quelques étapes du cycle de vie et quelques facteurs environnementaux. Voici un schéma qui rappelle le périmètre actuel :

Périmètre standard d’une analyse de cycle de vie dans le secteur numérique

Nous ne sommes capables de remonter qu’une partie de tous les indicateurs, donc ce que nous savons aujourd’hui de l’empreinte environnementale est encore limité. Dans le secteur numérique, l’empreinte carbone se résume généralement à une évaluation de la consommation d’électricité durant la phase d’usage et des émissions qui y sont liées.

Périmètre standard d’une empreinte carbone appliquée au secteur numérique

Ce type de modèle est presque une réduction à l’absurde d’un point de vue environnemental, car il s’agit de la réduction d’un périmètre déjà limité. De même, il met de côté la phase du cycle de vie qui est généralement la plus importante dans le secteur numérique : la fabrication. En dernière analyse, la focalisation sur un facteur d’impact (émissions carbone via conso électricité) cache tous les transferts d’impacts (vers la fabrication, la fin de vie, l’empreinte matérielle ou eau). Ce modèle est uniquement utilisé lorsqu’il n’y a pas de données accessibles publiquement, ou de qualité suffisante, pour gagner en granularité. Aujourd’hui, la plupart des chiffres avancés sur l’impact du streaming se basent sur un modèle d’empreinte carbone lié à la consommation d’électricité durant la phase d’usage. Revenons ensemble sur ces différentes hypothèses.

Les différents façons d’allouer l’impact du streaming vidéo

Le streaming vidéo est un service numérique qui mobilise une chaine d’infrastructures et d’équipements : data centers (DC), Content Delivery Networks (CDN), cœurs de réseaux, réseaux fixes et mobiles, box opérateur, smartphones, tablettes, ordinateurs ou téléviseurs. D’un point de vue environnemental nous avons besoin de trouver un facteur d’allocation pour distribuer les impacts liés à la fabrication et à l’usage de cette chaîne. Par exemple, nous connaissons tous un facteur d’allocation pour distribuer l’impact d’une économie donnée : l’empreinte carbone d’un habitant est une allocation égale de toute l’empreinte GES de la France à chaque français. Chaque français se voit attribuer une part égale des émissions d’industries, de transports ou de services quel que soit son mode de vie ou son niveau de revenus ou son implication directe avec les secteurs de l’économie française.

Le choix d’un facteur d’allocation dépend des objectifs souhaités (et est donc critiquable en fonction de ces derniers). Dans le cas du streaming, les facteurs d’allocation peuvent être : le transfert de données (en Go), le temps d’utilisation (en min), et le nombre d’abonnés à un service (par abonné / mois ou an).

Trois choix de facteurs d’allocation de l’impact

Utiliser le transfert de données comme facteur d’allocation permet une comptabilité environnementale a posteriori d’un service ou d’une chaine d’infrastructures donnée. Cette option est préférée par les grandes entreprises car elle permet la comptabilité depuis des données agrégées (consommation annuelle d’électricité / transfert annuel de données / intensité carbone annuelle des mix), divulguant le moins d’information possible sur leurs activités. D’un point de vue industriel, cela permet de suivre année après année les gains ou les pertes d’efficacité d’une infrastructure donnée (en complément d’autres indicateurs). D’un point de vue formel, cela renvoie en partie la responsabilité de l’impact de l’infrastructure à l’usage, et par extension à l’usager. L’allocation par temps d’utilisation permet de se rapprocher de la réalité de fonctionnement du service et des appareils mobilisés. On utilise généralement ce facteur d’allocation pour l’impact des équipements (temps actif sur smartphone/ordinateur/téléviseur) et des data centers. En fait, la plupart des modèles d’impact du streaming est un mélange d’allocation entre trafic (en Go) et temps d’usage (en minute). L’allocation par abonné est surtout proposée par les chercheurs d’Ericsson pour remplacer l’allocation par trafic, jugée non-pertinente, et proposer une vue par réseau. Aujourd’hui, l’allocation par transfert de données est favorisée internationalement à des fins de comptabilité environnementale et par rapport aux données disponibles.

Comment la question se pose en Europe ?

Avant de plonger dans le cas français, je souhaiterais faire un détour par les débats dans la communauté de recherche européenne. Dès 2015, Anders Andrae, chercheur chez Huawei, a utilisé le trafic comme proxy pour projeter l’empreinte future du secteur1. Ce choix a été en partie motivé par l’absence d’autres données disponibles. Au même moment, les chercheurs d’Ericsson dont Jens Malmodin ont contesté une telle approche en proposant les résultats de leur propre recherche en Suède2 et au niveau global en 20183, basée en partie sur des données primaires mais confidentielles pour certaines. Depuis, une équipe de chercheurs à Bristol (Schien, Preist, Shabajee) s’est spécialisée sur la modélisation de l’impact carbone du streaming (modèle DIMPACT) et a pu travaillé directement avec des chaines britanniques et, plus récemment, avec Netflix.

Aujourd’hui, un consensus semble s’être cristallisé pour une partie de la communauté avec la publication du livre blanc “Carbon impact of video streaming”4 produit par l’équipe de DIMPACT et Carbon Trust, et revue par une partie des chercheurs/consultants liés au sujet (Malmodin, Kamiya, Koomey, Masanet, …). Sur deux approches possibles, celle de l’allocation par transfert de données a été privilégiée avec pour objectif de fournir une empreinte à l’échelle d’une organisation et une estimation à l’échelle d’un réseau/système. Les chercheurs rappellent les limites de cette approche : elle est uniquement valable à une période donnée (donc a posteriori) et les caractéristiques d’un réseau donné. Finalement, cette approche n’est pas du tout appropriée pour estimer l’empreinte marginale liée à un changement de niveau de service, comme l’augmentation de la résolution d’une vidéo par exemple, mais donne une vue d’ensemble d’un système.

L’autre approche, le “Power model”, est proposée par Malmodin. Ce modèle fait deux allocations : une allocation majoritaire de la consommation d’énergie des réseaux par minute d’utilisation et par équipement actif, et une allocation minoritaire de la consommation d’énergie liée au flux de données supplémentaires (de 480p à 4K par exemple). Cette approche permet de mieux mesurer l’impact marginal lié à un changement de qualité vidéo toutefois elle est aussi représentative d’une période, d’un réseau et d’un matériel spécifiques. L’approche “Power model” fonctionne principalement grâce à des données primaires sur le service étudié (issues de mesures directes sur équipements) qui sont rarement disponibles publiquement et ne sont pas transmises par les équipementiers ou les opérateurs. Sans accès aux données des réseaux étudiés le modèle devient trop incertain pour être utilisé comme méthode de comptabilité et d’allocation.

Résumé des hypothèses et de données de référence des deux approches de DIMPACT/Carbon Trust

Il est important de noter que dans les deux approches, la consommation d’énergie des data centers et des équipements utilisateur sont allouées par temps d’utilisation. À partir de l’approche conventionnelle, l’équipe de DIMPACT estime qu’en Europe l’empreinte carbone moyenne d’une heure de streaming vidéo est de 56gCO2eq et la consommation d’électricité de 190 Wh. Ajusté au mix énergétique français cette empreinte serait plutôt de 10gCO2eq/heure (3gCO2eq en Suède, 76gCO2eq en Allemagne, 48gCO2eq au Royaume-Uni). Dans tous les cas, une très large part de cette consommation et empreinte vient de la TV et du routeur. C’est uniquement sur smartphone (en 4G LTE) que la consommation des réseaux représente une part relativement importante car la consommation d’électricité de ce type de terminaux est très basse. À noter aussi que le changement de qualité de vidéo n’a presque aucune effet sur l’empreinte des réseaux fixes mais a bien plus d’impact sur les réseaux mobiles (de façon relative)5.

Résumé des estimations d’empreinte carbone du streaming vidéo de DIMPACT

Il faut se rappeler que tous les chiffres présentés par l’équipe de DIMPACT et de Carbon Trust ne représentent que l’empreinte carbone liée à la consommation d’électricité durant la phase d’usage. Il manque la phase de fabrication, la fin de vie et 14 autres indicateurs environnementaux. Ainsi, Netflix a aussi utilisé le modèle DIMPACT pour calculer son empreinte carbone moyenne par heure de streaming. L’entreprise annonce une empreinte moyenne de 100gCO2eq / heure pour visionner une vidéo sur sa plateforme6. Elle n’incorpore aucun impact lié à la fabrication des équipements de visionnage car l’entreprise considère qu’elle n’est pas responsable de l’achat des équipements (TV, etc). L’équipe de DIMPACT souhaiterait a priori inclure les données de fabrication pour les allouer mais l’opacité des chaines de production et d’approvisionnement aujourd’hui ralentit grandement le travail d’analyses de cycle de vie.

Comment la question se pose en France ?

L’ADEME a travaillé pendant un an avec des experts en ACV numérique et avec les entreprises du secteur (opérateurs / équipementiers / services) pour définir un facteur d’impact pour les réseaux français. Les valeurs statuées sont : à 49,4gCO2eq/Go pour les réseaux mobiles et 4,1kgCO2eq/mois/abonné pour les réseaux fixes7. Il s’agit de valeurs moyennes à l’échelle de tous les réseaux français qui incluent à la fois la phase de fabrication et la phase d’usage. C’est la principale différence avec les modèles présentés précédemment qui ne regarde eux que la phase d’usage.

La première chose à noter est le facteur d’allocation différent entre réseaux fixes (par mois par abonné) et mobiles (par transfert de données). Premièrement, les réseaux sont toujours plus ou moins allumés et le transfert de données modifie très peu la consommation des réseaux fixes (les conclusions de DIMPACT sur le streaming sont similaires). Le gros de la consommation sera a priori lié à la consommation d’électricité de la box opérateur (qui varie elle-même très peu en fonction du transfert de données). Il semble donc cohérent de faire une allocation par abonné et par mois de 4,1kgCO2eq, cela respecte suffisamment la nature du service et la distribution des impacts d’usage et de fabrication. Dans tous les cas, les opérateurs fournissent des données agrégées empêchant d’aller plus en finesse.

Deuxièmement, les réseaux mobiles ont une plus grande sensibilité par rapport à la transmission de données, sans que la consommation électrique soit proportionnelle au transfert de données. Cette observation est aussi soutenue par les équipes de DIMPACT et les mesures réelles de Malmodin sur de l’équipement Ericsson. Celui-ci estime qu’une unité radio 4G utilise au moins 50% de sa puissance maximum pour maintenir sa couverture et diffuser les données de référence/système/synchronisation. Il note que la puissance additionnelle lié au trafic est autour de 1 à 2 W par Mbps par usager (4G LTE)8. Ainsi, ce facteur n’est pas forcément mauvais pour allouer a posteriori l’impact sur les réseaux mobiles. Le problème est de séparer complétement les réseaux fixes et mobiles alors qu’ils utilisent des couches de réseaux similaires (cœur de réseaux). Il y a une grosse marge de progression sur ce point. En fait, il semblerait plus clair d’avoir un facteur d’impact similaire pour le coeur de réseaux, et un facteur différent pour le réseau d’accès fixe (incluant la box opérateur) et pour celui pour le réseau d’accès mobile.

Comparons ce 49,4gCO2eq à une autre publication de référence. Malmodin estime qu’en 2018 l’empreinte carbone moyenne des réseaux d’accès mobiles était de 12kgCO2eq par abonné et par an (2kgCO2eq en Suède, 12kg en EU28, 13kg en Allemagne, 20kg aux États-Unis). Sachant que les français consomment en moyenne 6,6 Go / mois en données mobiles nous obtenons : 326gCO2eq/mois/abonné, soit 3,9kgCO2eq/an/abonné. La France a un mix énergétique un peu plus carboné que la Suède et le chiffre de l’ADEME intègre la fabrication (à peu près 10% de l’empreinte carbone des réseaux). Ainsi le 49,4gCO2eq/Go semble bien aller dans le sens de la littérature existante.

Comparaisons des estimations de Malmodin avec l’estimation française

Enfin, pour donner un peu de perspective à cette description très technique j’aimerais résumer en substance la réunion de travail (sur ces facteurs) que j’ai observée :

Résumé d’une réunion de travail sur l’impact environnemental du réseau

Il est nécessaire de comprendre que les grandes variations sur l’estimation de l’empreinte carbone (et environnementale) du secteur numérique ne sont pas uniquement dues à des erreurs méthodologiques mais en bonne partie au blocus des entreprises sur leurs données. Le nerf de la guerre dans ce champ de recherche (comme dans beaucoup d’autres) c’est l’accès aux données.

Corrections des chiffres parus dans la presse

Récemment j’ai vu un article du Monde traitant de l’empreinte carbone du secteur numérique et accompagné de plusieurs infographies. Certaines d’entre elles donnent des chiffres étranges que j’ai tenu à vérifier.

Concernant le streaming vidéo une infographie annonce que l’empreinte carbone maximum d’une heure de streaming sur Youtube serait de 1005gCO2eq, 440gCO2eq pour Netflix, et ainsi de suite. Ces chiffres proviennent d’Obringer et al. “The overlooked environmental footprint of increasing Internet use”9 que j’ai déjà pu étudier auparavant. Premièrement, le périmètre de l’étude se concentre sur les centres de données et les réseaux fixes (réseaux mobiles et équipements utilisateur sont hors périmètre). Deuxièmement, ils utilisent les estimations d’Aslan et al. pour les centres de données (0,01kWh/Go) (même source que DIMPACT) et celles de l’IEA pour la transmission de données (0,06kWh/Go). Ces deux estimations sont plutôt optimistes et réduisent la possibilité de surestimation. Les auteurs de l’étude font ensuite varier l’empreinte carbone en fonction du trafic par heure (min=1Go/h, max=7Go/h) et en fonction de l’intensité carbone du mix énergétique (min et max du pays).

Quand l’infographie du Monde indique qu’une heure de streaming sur Youtube est équivalente à 1005gCO2eq, cela est potentiellement envisageable si je regarde Youtube en 4K (7Go/h) en Pologne au moment où l’intensité carbone du mix énergétique est au maximum. En fait, l’étude donne un minimum et un maximum, le minimum de Youtube est de 6,3gCO2eq/heure. Si je reprends le graphique du Monde en intégrant les valeurs minimums et maximum et si j’ajuste les résultats avec le mix énergétique français, je donne une tout autre vision. Il faut se rappeler que ces chiffres n’intègrent ni la fabrication, ni les réseaux mobiles, ni les équipements utilisateur. Je dois avouer qu’avec un périmètre aussi restreint et un écart aussi important dans les résultats je ne comprends pas vraiment le but de l’exercice. Le calcul peut être potentiellement pertinent au niveau d’un état mais il n’a plus de pertinence appliqué à un service à cause du modèle et des données utilisées.

Infographie parue dans le Monde et correction depuis le même jeu de données

Concernant le chiffre sur la consommation d’énergie entre la 4G et le Wifi il s’agit d’un chiffre issu d’une publication de 2012 de Huang et al. “A Close Examination of Performance and Power Characteristics of 4G LTE Networks”10. Leur résultat est basée sur des données primaires récoltées pendant 5 mois sur 20 smartphones ainsi qu’un second échantillon de 3000 utilisateurs pendant 2 mois. Le périmètre de leur étude comprend uniquement la consommation d’électricité de la fin des réseaux d’accès (3G, 4GLTE, box Wifi Comcast) et l’équipement utilisateur (un smartphone). Sur ce périmètre restreint (l’envoi de paquet de données entre un dispositif réseau émetteur/récepteur et un smartphone) leurs résultats vont dans le sens de la recherche à cette époque. Toutefois, si la publication date de 2012, cela implique que les tests ont été fait en 2011 (au début du déploiement de la 4G) donc ces données sont vieilles et supposément dépassées. En 10 ans, ces équipements sont devenus bien plus efficaces (plus vite que les box opérateurs d’ailleurs).

Conclusions

Peu de personnes sont formées aux sciences environnementales appliquées au secteur numérique, ainsi peu de personnes peuvent remettre en contexte des études, publications et données et les expliquer aux parties prenantes (État, collectivités, média, etc.). Cela est normal tant le sujet est jeune et il faudra encore de nombreuses années pour former des cohortes de chercheurs. Cette jeunesse explique leurs erreurs d’appréciation dans la communication institutionnelle (l’ADEME et la campagne sur les emails) ou la communication journalistique (l’article du Monde). Il faut néanmoins rappeler la responsabilité des entreprises dans les résultats hasardeux ou aux écarts très importants : sans partage de données de qualité, l’évaluation reste foncièrement incertaine. Nous sommes en fait plus proches de l’archéologie où nous essayons de reconstituer des scènes et des systèmes depuis les fondations et vestiges que nous déterrons.

Concernant l’empreinte carbone du streaming, il semble à premier abord que les valeurs formulées, malgré les problèmes de périmètre, vont dans le sens de la littérature scientifique. Le principal impact du streaming c’est la consommation de la télévision et la box opérateur / routeur. Toutefois, la question prioritaire est : pourquoi mesurer ? Si on utilise l’allocation d’impact par Go pour renverser la responsabilité vers l’usager alors c’est une énorme erreur. Si on l’utilise comme outil pour surveiller l’évolution du parc français et de chaque opérateur alors c’est peut-être un peu plus utile mais ce n’est pas utile à l’usager. C’est même un jeu risqué car cette allocation fait croire pour la personne non formée qu’il y a un lien direct entre transfert de données et empreinte carbone, ce qui n’est guère le cas (il y a par contre des liens indirects). Personnellement, je ne trouve pas cet indicateur pertinent pour une communication grand public. Cependant, maintenant qu’il est mis en place il faut savoir quoi en faire. Il est possible de l’utiliser comme levier pour tenter d’obtenir le plus de données possibles de la part des opérateurs et peut-être même des équipementiers. Comme je le disais plus haut, le nerf de la guerre est l’accès aux données et chaque opportunité est bonne à saisir pour ouvrir de nouvelles boites noires.

La principale innovation des indicateurs de l’ADEME est la tentative d’intégration des impacts fabrication (informée par des ACV). Si Netflix intégrait une quote-part de la fabrication des data centers, des réseaux et surtout des équipements utilisateur (les TV) alors les 100gCO2eq/heure pourraient sûrement doubler (estimation personnelle et non vérifiée, ne pas citer), notamment si l’achat d’une télévision est principalement motivée pour le visionnage de Netflix. Je tiens à rappeler que la mesure ou l’évaluation ne doit pas être une fin en soi. L’ACV n’est pas un horizon indépassable et ses résultats ne sont uniquement valables que dans le périmètre d’analyse donné Il n’y a rien à gagner à faire l’ACV d’un métavers mais plutôt de se demander si le développement de plateformes commerciales (américaines) est vraiment un bon choix pour orienter notre écosystème numérique (gouvernance, vie privée, droit, etc.).

Le travail de chercheurs en sciences environnementales appliquées au numérique consiste à se demander si le secteur et ses développements futurs seront compatibles avec un monde soutenable (limites planétaires, +2°C, contraintes matérielles, etc.). C’est ça qu’il faut garder en ligne de mire lorsqu’on fait tous ces travaux d’analyse. Aujourd’hui, la priorité devrait être mise sur le rallongement de la durée de vie des équipements, qui est un sujet d’une grande complexité, et sur la compréhension de l’empreinte matérielle. La plupart de ces sujets vont devoir se régler a priori au niveau étatique ou européen. Pour les usagers, la meilleure chose à faire est de garder ses équipements le plus longtemps et de ne pas se suréquiper (IoT, télévision 4/8K, etc.).

Rappel du périmètre des études

Pour toutes études il est nécessaire de vérifier les périmètres, les données de référence, les scénarios, et de les comparer au reste de la littérature scientifique. En l’occurence, personne n’a le temps de faire ça sauf les personnes dont c’est l’occupation principale. À travers ce long article j’espère avoir pu éclairer sur le cas du streaming et vous éviter une dizaine d’heures de lecture aride.


  1. Anders S. G. Andrae and Tomas Edler, “On Global Electricity Usage of Communication Technology: Trends to 2030”, Challenges 6, 2015, pp. 117-157. 

  2. Jens Malmodin and Dag Lundén, “The energy and carbon footprint of the ICT and E&M sector in Sweden 1990-2015 and beyond”, ICT4S, 2016, pp. 209-218. 

  3. Jens Malmodin and Dag Lundén, « The Energy and Carbon Footprint of the Global ICT and E&M Sectors 2010-2015”, Sustainability 10, n° 9, 2018, p. 3027. 

  4. Carbon Trust, “Carbon Impact of Video Streaming”, Carbon Trust, 2021. 

  5. Ibid., pp. 63-64. 

  6. Emma Steward, Daniel Schien, “The True Climate Impact of Streaming”, Netflix, 10 juin 2021. 

  7. ADEME, “Affichage environnemental dans le secteur du numérique”, ADEME, 14 décembre 2021. 

  8. Jens Malmodin, “The power consumption of mobile and fixed network data services - The case of streaming video and downloading large files”, Electronics Goes Green 2020+ Proceedings, pp. 87-96. 

  9. Renee Obringer et al., “The overlooked environmental footprint of increasing Internet use”, Resources, Conservation & Recycling 167, 2021. 

  10. Junxian Huang et al., “A Close Examination of Performance and Power Characteristics of 4G LTE Networks”, MobiSys ‘12: Proceedings of the 10th international conference on Mobile systems, 2012.